L’HISTORIQUE DU COLLECTIF STOP AUX CANCERS DE NOS ENFANTS

Récit de Marie Thibaud

Notre petit garçon, Alban, tout juste 4 ans, a déclaré une leucémie en décembre 2015.

Personne dans notre entourage n’avait jamais entendu parler de cancers de l’enfant alors que nous habitons ici depuis plusieurs générations. Nous nous demandions comment et pourquoi ce cancer ? La « faute à pas de chance » ?  En mars 2016, je vois dans la salle de jeu du service d’oncologie pédiatrique du CHU de Nantes une petite fille que je connais bien. Je m’interroge mais préfère certainement croire encore au hasard.

Puis très rapidement j’apprends qu’un troisième, un quatrième enfant… du secteur de Sainte-Pazanne, viennent de déclarer également un cancer. Le mot hasard n’est désormais plus acceptable. Quatre enfants en 1 an sur le même secteur !

A partir de décembre 2016, je cherche à qui m’adresser pour alerter sur ce qui se passe. Je fonctionne alors par le bouche-à-oreille, d’un appel à un autre, j’arrive enfin au registre des cancers pédiatriques de Loire-Atlantique et de Vendée. La responsable me dit qu’il y a peut-être quelque chose qui se passe. Elle m’indique l’important retard d’enregistrement du registre, de plusieurs années. Elle me donne néanmoins les coordonnées de l’Agence Régionale de Santé (ARS) et de la Cellule régionale de Santé publique France (SPF). Il me faudra encore trois à quatre mois pour avoir le bon interlocuteur.

En avril 2017, je transmets les coordonnées de toutes les familles (en accord avec celles-ci) et mon signalement est enfin pris en compte par la Cellule de Veille et d’Alerte et de Gestion Sanitaire (CVAGS) de l’ARS.

L’ARS saisit dès lors SPF pour « un cluster » : regroupement de cas dans une zone géographique donnée et sur un temps donné.

Comme un soulagement pour moi, toujours au milieu des traitements et des hospitalisations d’Alban, d’avoir enfin trouvé un interlocuteur qui semblait prendre cette situation très au sérieuse. L’ARS et SPF m’annoncent le début d’une enquête qui prendra plusieurs mois. Nous restons en contact. Non plutôt, je les contacte tous les 2, 3 mois pour leur demander où en est leur enquête. Rien n’avance jamais.  Aucune famille, nous y compris, ne seront jamais contactés par l’ARS ou SPF.

Les enfants ont continué de déclarer des cancers sur cette année 2017 et le décès d’une princesse vient se rajouter… Je les en informe à chaque nouveau cancer. Sans mes alertes, ils n’ont rien. Je doute alors de leur engagement et de leur implication, mais je ne peux faire davantage. Nous sommes au quotidien en guerre contre le cancer d’Alban, et ces batailles nous demandent toute notre énergie et notre temps.

Je reçois en juillet 2018 le rapport et les conclusions de l’étude de l’ARS et de SPF. Je ne comprends pas, aucune famille n’a été ni reçue ni entendue sur nos lieux de vie, nos modes de vie, nos antécédents…

En fait, ils n’ont mené qu’une enquête que j’appelle administrative, via les données enregistrées sur le Net; base de données BASOL et BASIAS qui répertorie les sites et sols pollués de France, les documentations du Centre International de recherche sur le cancer (CIRC) de l’ OMS autour des causes des cancers pédiatriques.

Ils recensent plusieurs facteurs connus de la littérature scientifique : le benzène, les champs électromagnétiques, le radon, les pesticides, les hydrocarbures et les radiations ionisantes. L’ARS et SPF rendent leurs conclusions, elles « valident l’excès de cas de leucémie parmi les enfants de moins de 15 ans des communes de Sainte-Pazanne et de Saint-Hilaire de Chaléons ».

Elles notent que « parmi l’ensemble des facteurs de risques environnementaux étudiés, quatre n’ont pu être totalement exclus : l’exposition à des sols pollués aux hydrocarbures, celle au benzène liée aux rejets industriels et au trafic routier, les expositions au radon et aux pesticides ». Mais elles concluent : « Ces quatre pistes d’exposition sont cependant considérées dans notre investigation comme étant peu probables… Ce qui précède (absence d’événement environnemental particulier probant) conduit l’ARS et la Cire à ne pas poursuivre l’investigation »

FIN.

Les enfants continuent de tomber malades, et les décès se poursuivent.

Fin Février 2019, un camarade de classe d’Alban déclare lui aussi un cancer. Encore un autre ! 

Ce jour-là devait être le plus beau jour, pour nous, pour lui, depuis ce jour de décembre 2015. Il venait marquer l’arrêt de la maladie pour Alban avec son dernier passage au bloc opératoire pour lui retirer son site. Mais au lieu de cela, Alban et son camarade sont partis ensemble ce jour noir de février au bloc, l’un pour débuter cette guerre contre la bombe et l’autre pour obtenir sa victoire qui n’en était plus du tout une ce jour-là !

C’est ce jour où notre petit garçon m’a dit : « Mais maman, pourquoi ils ont arrêté de chercher ? Est-ce que tu peux faire quelque chose pour que, lui, ne meure pas et qu’il n’y en ait pas d’autres qui tombent malades. Ils peuvent revenir chercher ? » Je lui promets qu’ils vont revenir chercher, qu’on va comprendre et que cette fois, il n’est pas question de s’arrêter.

Cela a été le point de départ de notre collectif. Nous n’étions plus seuls, une force collective s’est rapidement construite autour de nous avec le soutien indispensable d’un ami, Johann Pailloux.

Nous créons le collectif « Stop aux cancers de nos enfants » en Mars 2019.

Un travail remarquable d’écriture de l’historique par Marie KAYSER, médecin, dans cet article de la Revue Pratiques, Cahiers de la médecine Utopique.